Souad, 38 ans, a longtemps pensé être victime d’un sort. Après plusieurs ruptures amoureuses brutales, des migraines chroniques et des insomnies persistantes, elle a fini par consulter une « guérisseuse » réputée dans sa région. « Elle m’a dit qu’une cousine jalouse avait bloqué mon destin. J’y ai cru. J’avais besoin d’une explication, même irrationnelle. »
Souad n’est pas un cas isolé. De nombreuses femmes, mais aussi des hommes, se tournent vers les charlatans et les voyants pour trouver un sens à leur souffrance. Le besoin de maîtriser l’inexplicable, de donner une cause extérieure à ses malheurs, alimente un marché souterrain florissant.
Pour la sociologue Nassima Guessoum, ce recours à la sorcellerie n’est pas seulement une question d’ignorance : « Dans un pays où la psychiatrie est encore stigmatisée, où les thérapeutes sont rares et coûteux, beaucoup de personnes en détresse psychique trouvent plus facilement un marabout qu’un psychologue. C’est un problème de santé publique autant que de croyance. »
Les praticiens religieux — imams, talebs — ne sont pas en reste. Certains refusent de mêler foi et superstition, d’autres surfent sur la confusion. Sur les réseaux sociaux, des « exorcistes » autoproclamés promettent de « guérir » le mauvais œil ou de libérer les femmes du « sihr el atf » (sorcellerie d’amour). Entre prêche, commerce et manipulation, la frontière est floue.
Dans 80 % des cas, ce sont des femmes qui consultent les charlatans, souvent en raison de problèmes conjugaux, de célibat prolongé ou d’infertilité. Dans un système patriarcal où leur valeur sociale reste largement définie par le mariage, une union impossible ou rompue devient un fardeau identitaire.
Fatiha, 42 ans, témoigne : « J’étais divorcée et on me disait que je n’étais pas normale, que j’étais maudite. J’ai tout essayé : roqya, talismans, même des sacrifices. J’avais honte, mais aussi peur d’être seule toute ma vie. »
Selon l’ancienne députée Zahra Hadid, militante des droits des femmes, « cette culpabilité imposée aux femmes est profondément ancrée. Elles finissent par croire qu’elles doivent se ‘faire soigner’ alors qu’elles sont simplement victimes d’injustices sociales ou de violences. »
Les conséquences vont bien au-delà de l’arnaque financière. Certaines femmes se retrouvent dépendantes, isolées, voire en danger. Des cas de violences physiques lors de séances de « purification » ont été rapportés. Des enfants ont été impliqués dans des rituels. Des femmes mentalement fragiles ont été dépouillées.
Un rapport de la gendarmerie nationale évoque une « explosion des cas liés à la sorcellerie depuis 2020 », notamment dans les wilayas de Sétif, Batna, Oran et Alger. Les objets retrouvés dans les cimetières — vêtements intimes, photos, cadenas — témoignent de l’ampleur de ce phénomène clandestin.
En Algérie, la pratique de la sorcellerie n’est pas explicitement encadrée par un article du Code pénal. Toutefois, plusieurs textes peuvent être invoqués :
Mais en pratique, peu de poursuites sont engagées, sauf en cas de violence ou de trouble manifeste.
Face à ce fléau silencieux, des voix féminines se lèvent. Des pages comme « » dénoncent la manière dont la société instrumentalise la religion pour contrôler les femmes via la peur. « Ce n’est pas du mystique, c’est du patriarcat maquillé en spiritualité », peut-on lire sur un de leurs posts viraux.
Des psychologues, comme Amel Benamara, appellent à « désenvoûter les esprits, non pas avec des amulettes, mais avec des mots, des soins, de l’écoute et des politiques sociales. »
Elle dit tout d’abord le manque criant de soutien psychologique. Elle dit aussi une crise de sens dans une société tiraillée entre religion, modernité et traditions. Elle dit enfin une angoisse collective mal canalisée, dans laquelle chacun cherche désespérément une réponse à ses douleurs invisibles.
Plus qu’un simple folklore, la sorcellerie est le reflet d’un mal plus profond. Et pour espérer le traiter, il faut cesser de se moquer de celles qui y croient… et commencer à écouter ce que cela dit de nous.
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