À huis clos, dans des appartements privés ou des cliniques de fortune, des femmes mettent leur vie en danger. En Algérie, l’avortement clandestin progresse dans l’ombre, nourri par le tabou, la peur et l’absence de cadre légal adapté.
Lors d’une journée d’étude organisée à Constantine par l’Association Algérienne pour la Planification Familiale (AAPF), médecins, psychologues, juristes et sociologues ont dressé un constat alarmant : l’avortement clandestin, bien qu’illégal sauf en cas de nécessité médicale, est une réalité quotidienne. Et une réalité dangereuse.
Aucune statistique officielle n’a été fournie par le ministère de la Santé. Pourtant, selon une étude interne des services de gendarmerie, plus de 80 000 avortements seraient pratiqués chaque année en Algérie, dont une majorité dans des conditions non sécurisées. Le coût d’une procédure clandestine varie entre 70 000 et 90 000 dinars, rendant cette solution inaccessible à de nombreuses femmes.
Les conséquences ? Des complications graves, parfois mortelles : on estime à 80 le nombre de décès de femmes chaque année en lien avec ces pratiques non médicalisées.
La loi algérienne n’autorise l’avortement que dans deux cas très spécifiques : danger vital pour la mère, ou malformation grave du fœtus. Même dans ces situations, les femmes se heurtent à un mur : absence de protocoles clairs, personnels non formés, volonté institutionnelle absente. Résultat : un recours à des pratiques illégales, souvent douloureuses, souvent solitaires.
Face à l’ampleur du phénomène, plusieurs recommandations ont été formulées par les acteurs de terrain :
Nouria*, 26 ans, raconte à voix basse son expérience de l’avortement clandestin en Algérie :
"J’étais en couple. Ce n’était pas prévu. Je n’ai pas osé en parler à mes parents. J’ai trouvé un numéro sur les réseaux. On m’a donné rendez-vous dans un appartement. C’était sombre, froid. J’ai payé 75 000 dinars. J’ai eu des douleurs atroces. Je suis restée allongée sur le carrelage, seule. J’ai cru que j’allais y rester."
Un an plus tard, une seconde grossesse non désirée l’amène à chercher une solution à l’étranger. Elle se rend alors en Tunisie, dans une clinique privée :
"C’était propre, médicalisé, encadré. Mais j’ai eu honte. Honte de devoir traverser une frontière pour pouvoir disposer de mon propre corps. Je n’ai parlé de ça à personne. Personne ne doit le savoir chez moi."
*Le prénom a été modifié
Les avortements clandestins ne disparaissent pas avec l’interdiction. Ils se déplacent, se camouflent, deviennent plus dangereux. Ils tuent en silence. Pour l’AAPF, le premier geste pour sauver des vies est de briser le tabou. Parler, écouter, débattre. Et surtout, agir.
Car protéger la vie, c’est aussi respecter le droit des femmes à décider de leur avenir.
En Algérie, le discours dominant est clair : l’avortement est un péché, une honte, un crime. On invoque la religion, les mœurs, l’ordre moral. Mais derrière ces grands principes, la réalité est tout autre. Car oui, l’avortement est "haram" selon la lecture religieuse majoritaire, mais que fait-on, concrètement, de toutes ces femmes en détresse absolue ? Celles qui n’ont ni mari, ni soutien familial, ni ressources. Celles qui tombent enceintes après un viol, une erreur, une relation sans lendemain. Celles qu’on abandonne avec un test de grossesse dans une main et une valise mentale de culpabilité dans l’autre.
L’hypocrisie, c’est d’interdire l’avortement mais de détourner le regard quand il est pratiqué clandestinement. C’est de punir moralement, sans proposer aucune alternative digne. C’est de juger une fille enceinte hors mariage, tout en fermant les yeux sur l’homme qui en est responsable. C’est d’enterrer le sujet sous le tapis, puis de s’indigner des conséquences.
Nouria, que nous avons déjà entendue plus haut, a confié une parole glaçante :
"À ce moment-là, c’était simple : soit j’avortais, soit je me suicidais. J’ai sérieusement envisagé de mettre fin à mes jours. Je n’avais personne. J’avais honte. Et pourtant, je ne suis ni inconsciente, ni irresponsable. J’étais juste une fille coincée entre deux murs qui se refermaient."
Combien de Nouria devront encore choisir entre la clandestinité ou le désespoir ? Le débat sur l’avortement ne peut pas se résumer à une opposition binaire entre permis et interdit. Il faut oser poser la vraie question : quand une femme est au bord du gouffre, que lui propose la société ?
Et vous, que pensez-vous ? Est-il temps d’ouvrir un débat national sur la question ? Vos avis sont les bienvenus.
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