Dans le silence des maisons, loin des projecteurs, de nombreuses jeunes Algériennes deviennent les piliers de leurs mères vieillissantes. Une inversion des rôles douce-amère, pleine de tendresse, de fatigue, mais aussi de dignité.
À 35 ans, Meriem, institutrice à El Harrach, s’occupe seule de sa mère diabétique et partiellement paralysée. « Ma mère m’a élevée seule. Aujourd’hui, c’est à mon tour de veiller sur elle. C’est comme si les rôles s’étaient inversés. Je la lave, je la coiffe, je lui prépare ses plats préférés. »
Elle soupire avant d’ajouter : « Je ne vous cache pas que c’est épuisant. Il m’arrive de pleurer en silence. Mais je me dis que c’est ma manière à moi de lui dire merci pour tout ce qu’elle a fait. »
Prendre soin d’une mère âgée, malade ou dépendante, ce n’est pas seulement un devoir familial : c’est une charge émotionnelle constante. Et dans une société où les filles sont souvent les premières appelées à l’aide, ce rôle peut devenir lourd, surtout quand il se cumule avec un emploi, des enfants ou des contraintes financières.
À Sétif, Hanane, 29 ans, a dû renoncer à un poste à Alger pour rester près de sa mère atteinte d’Alzheimer. « Certains m’ont dit que je gâchais ma vie. Moi, je pense qu’il n’y a rien de plus noble que de tenir la main de celle qui a tenu la tienne. »
Souvent, les gestes remplacent les mots. Laver les cheveux de sa mère, lui enfiler ses chaussons, lui masser les jambes ou simplement lui tenir la main lorsqu’elle s’endort… Ces gestes simples deviennent des rituels d’amour, de reconnaissance, de retour à l’essentiel.
Naïma, 41 ans, à Oran, témoigne : « Ma mère ne parle presque plus. Mais quand je m’assieds à côté d’elle et que je la coiffe, je vois ses yeux s’illuminer. C’est notre moment à nous. »
Dans une culture où la solidarité familiale est valorisée, ces gestes sont perçus comme naturels. Pourtant, beaucoup de jeunes femmes souffrent en silence, sans reconnaissance, ni répit. Rares sont les structures de répit ou d'accompagnement. Le fardeau moral est lourd, d’autant plus qu’exprimer sa fatigue est souvent perçu comme de l’ingratitude.
Amel, 32 ans, à Béjaïa, le dit clairement : « On attend des filles qu’elles s’occupent de tout. Si c’est ton frère qui le fait, on l’applaudit. Mais quand c’est toi, c’est juste ‘normal’. »
Dr Nassim Belkacem, sociologue et enseignant à l’université de Tlemcen, analyse ce lien mère-fille si particulier dans la société algérienne :
“En Algérie, la mère a un statut quasi sacré, hérité à la fois de la tradition arabo-musulmane et des structures patriarcales qui la placent au cœur du foyer. Elle est celle qui donne, qui endure, qui transmet. Mais paradoxalement, une fois vieillissante, elle peut aussi se retrouver isolée, dépendante, voire invisible dans le débat public.”
“La relation mère-fille est profondément ambivalente : elle est faite d’amour intense, mais aussi de pressions sociales implicites. La fille est souvent investie du devoir de soin, au nom de l’amour filial mais aussi parce que c’est attendu d’elle. C’est un héritage affectif mais aussi structurel.”
“Ce qui est frappant dans les témoignages que vous avez recueillis, c’est que les femmes prennent ce rôle sans le remettre en question, avec une dignité silencieuse. Mais il est urgent d’accompagner cette réalité par des politiques sociales concrètes, car le vieillissement de la population féminine en Algérie est une bombe à retardement familiale.”
Pour beaucoup, ce rôle réveille une maternité inversée. Celle de devenir, à son tour, la mère de sa propre mère. De surveiller les médicaments, d’écouter les angoisses, de calmer les colères ou les pleurs, comme on le ferait avec un enfant.
Et malgré la fatigue, il y a une lumière dans ce don de soi. Une lumière qui dit : « Je suis là. Je te rends un peu de tout ce que tu m’as donné. »
Selon les données de l’Office National des Statistiques (ONS), l’Algérie comptera plus de 7 millions de personnes âgées de plus de 60 ans d'ici à 2035. Les femmes représentent une majorité dans cette tranche d’âge, notamment en raison de leur espérance de vie plus élevée.
Pourtant, le pays accuse un retard important en matière de structures de prise en charge du grand âge**, en particulier pour les femmes. Les maisons de retraite restent rares, mal perçues culturellement, et souvent mal équipées. Résultat : ce sont les filles, belles-filles ou parfois petites-filles qui deviennent les principales aidantes, sans accompagnement psychologique ni soutien matériel.
“Le vieillissement féminin en Algérie est un enjeu invisible mais massif”, souligne le sociologue Dr Nassim Belkacem. “Nous devons repenser notre système de solidarité familiale et étatique, car les femmes ne peuvent pas continuer à porter seules cette charge.”
Le rôle de “soignante informelle” n’est pas sans conséquence. Plusieurs études internationales, notamment de l’OMS, montrent que les aidants familiaux — majoritairement des femmes — présentent un risque élevé de **dépression, anxiété, isolement social et épuisement physique**.
En Algérie, ces symptômes passent souvent inaperçus ou sont minimisés : la souffrance est absorbée dans le silence et le devoir. Nadia, 38 ans, qui s’occupe seule de sa mère hémiplégique à Tlemcen, confie : « Je ne me plains pas, parce que tout le monde me dit que c’est normal. Mais parfois, j’ai juste besoin qu’on me demande : et toi, ça va ? »
Or, le manque de structures de soutien psychologique pour les aidantes est criant. Très peu de centres sociaux proposent des groupes de parole, de la formation ou des consultations spécialisées. En conséquence, des femmes algériennes en âge actif s’isolent, sacrifient leurs ambitions, voire leur santé mentale, au nom de la piété filiale.
Reconnaître le rôle des aidantes, c’est aussi protéger leur équilibre, et celui de la société toute entière. Car ce sont elles, dans l’ombre, qui tiennent les piliers affectifs et sanitaires de milliers de familles.
Parler de ces femmes, c’est rendre hommage à leur silence. C’est reconnaître leur force discrète, leur patience infinie. C’est dire à toutes les filles d’Algérie qui veillent tard, qui annulent une sortie pour donner un bain, qui dorment à côté d’un lit médicalisé : vous n’êtes pas seules. Et ce que vous faites, c’est de l’amour pur. C’est une forme de maternité dont personne ne parle, mais qui mérite toute la lumière.
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